Face aux conséquences économiques, sociales et environnementales des coulées d’eau boueuse, deux types de dispositifs ont été envisagés par la Chambre d’Agriculture du Bas-Rhin. Le premier, nommé « assolement concerté », s’appuie sur le bassin-versant et la participation des agriculteurs dans l’organisation d’un panachage de cultures d’hiver (blé) et de printemps (maïs). Quant au second, l’adoption par les agriculteurs de techniques de cultures sans labour, favorise la préservation du sol en limitant son travail et son retournement.
L’analyse sociologique montre que ces deux pratiques font l’objet d’une réception différenciée de la part du monde agricole. L’assolement concerté semble bénéficier d’une acceptation plus large que les techniques sans labour. Pourquoi ? Les deux dispositifs interviennent à des échelles différentes dans la lutte contre l’érosion des sols. Quand l’un modifie peu les pratiques habituelles et permet l’implication collective et horizontale des agriculteurs, l’autre suppose une modification profonde des techniques, et au-delà, des manières d’être agriculteur, dans une démarche individuelle non sans risques. Explications :
Les agriculteurs sont invités à se concerter afin d’alterner les cultures de printemps (maïs) et les cultures d'hiver (blé) sur les chemins d'eaux principaux. Ce dispositif s’accompagne par la mise en place de bandes enherbées afin de créer une ceinture verte autour des parcelles à forts risques érosifs.
Ce dispositif ne répond pas à une logique descendante et linéaire mais laisse la possibilité aux agriculteurs de discuter avec les conseillers agricoles les solutions envisagées.
L’assolement concerté s’inscrit dans un bassin versant qui sert de référence commune pour les acteurs dans un processus maîtrisé localement, modifiable et négociable collectivement.
Il ne remet pas en cause les pratiques habituelles, ni même les choix des cultures, mais modifie uniquement leur emplacement.
L’assolement concerté modifie également la relation de conseil et la manière de faire conseil en agriculture : il ouvre un espace de dialogue et de concertation entre agriculteurs, conseillers et élus locaux, La mise en opérationnalité du dispositif est alors co-construite dans un processus participatif d’accompagnement entre conseillers et agriculteurs.
L’analyse démontre l’importance d’un développement social, c’est-à-dire l’existence d’un processus participatif qui intègre au sein d’un collectif (formations, échanges de savoirs) les agriculteurs d’un même territoire afin de favoriser des changements de pratique. L’un des enjeux est de voir à quelles conditions ce dispositif est susceptible d’être reconduit, notamment après quelques années sans épisode de coulées boueuses.
A la différence de l’assolement concerté, les TCsL modifient directement les itinéraires techniques de l’agriculteur en neutralisant l’érosion à sa source. Ces techniques se définissent essentiellement par l’abandon de la charrue et modifient, au-delà de la seule pratique, le rapport de l’agriculteur à la technique et à la nature. L’innovation met en avant la capacité de l’activité biologique du sol, comme le rôle des couverts végétaux, afin de compenser la suppression du labour. La nature acquiert ainsi un nouveau statut, où ses processus redeviennent des objets fonctionnels et utiles aux logiques de production.
Bien que les TCsL se traduisent par un retrait de la technique (le labour), elles induisent un processus de professionnalisation qui introduit une compréhension experte de la ressource sol. L’entrée des TCsL questionne tout un système cohérent de pensée et de pratique du sol qui faisait sens à l’agriculteur. Le passage du labour au non-labour marque la transition entre une observation plus tactile et empirique construite à partir de la « sonde du sol » qu’est le labour, à une observation plus « objective » construite sur des connaissances agronomiques et biologiques. L’on passe alors d’une médiation concrète -le labour- qui est en prise avec le milieu à une autre plus figurée et moins incarnée, qui repose désormais sur une observation et une compréhension plus technique et agronomique du sol.
Ainsi, la diffusion des TCsL s’inscrit dans une démarche plus individuelle dans la mesure où c’est l’agriculteur qui prend le risque sur son exploitation, au prix, non seulement d’une modification de ses pratiques et de son parc de matériel, mais aussi de son système de représentation du sol et de la nature. Les échecs éventuels sont observés par les collègues et peuvent renforcer les freins à l’adoption de ce dispositif. A l’inverse, l’analyse montre également l’existence de réseaux d’échanges, non nécessairement inscrits dans les institutions agricoles classiques, qui favorisent et accompagnent l’adoption de ces nouvelles pratiques.
Pour en savoir plus sur les techniques culturales: le site de l'ARAA