Le rôle des haies dans les zones loessiques d’Alsace a été étudié sous l’angle historique, grâce à des analyses de sols et des analyses de sédiments. En effet, l’accumulation de terre érodée à l’amont des haies génère sur le temps long des microtopographies spécifiques appelées rideaux de culture, de hauteur métrique. Les constituants des rideaux de culture sont autant de témoignages qui permettent de reconstituer le rôle des haies dans la lutte antiérosive.
La haie constitue un obstacle à l’écoulement de l’eau. A sa hauteur, le ruissellement ralentit, perd de son énergie. La terre transportée se dépose en partie à l’amont de la haie. Avec le temps, ces dépôts provoquent un rehaussement des matériaux terreux. La haie monte également au fur et à mesure des dépôts. A l’inverse, à l’aval de la haie la terre s’érode. L’ensemble de ces phénomènes provoque la formation de ressauts topographiques, qui peuvent atteindre 2 m de haut. Ils sont appelés « rideaux de culture ». Lorsque la haie disparaît, ils restent longtemps marqués dans le paysage, comme dans de nombreuses vallées du massif vosgien.
Fig 1 : Formation d'un rideau de culture d'après Soutter (Source : Froelicher, 2016)
Les haies sont et ont été des objets d’atténuation des processus érosif : sur la toposéquence (que nous pouvons définir comme une succession des types de sols du sommet à la base du versant – fig 2) de Habsheim, c’est environ 50 % de la terre érodée dans les champs qui a pu être stockée quasiment sur place au lieu d’être entrainée dans les rivières.
De plus, à Habsheim, une première haie a été mise en place à la limite entre l’Age du Bronze et l’Age du Fer il y a environ 2 700 ans. De manière générale c’est surtout au Moyen Age qu’elles se sont développées en Alsace, notamment au tournant du premier millénaire de notre ère. En effet, le système de haies se généralise vers l’an 1 000, ce qui semble aussi être le cas dans les vallées vosgiennes. Le parcellaire des zones pentues semble alors constitué de parcelles très longues (plusieurs centaines de mètres parfois), très peu larges (quelques dizaines de mètres) et orientées selon les courbes de niveau. Vers les XV-XVI° siècles, ce système agraire régresse.
Fig. 2 : Profil pédo-sédimentaire de la toposéquence de Habsheim (Froehlicher, 2016)
Outre les relevés pédologiques, des relevés de terrain de haute précision par radar (LIDAR) permettent de cartographier les formes de ressauts ou « rideaux de culture » et ainsi de reconstituer les paysages de haies.
Fig 3 : Reconstitution du paysage de haies à partir du LIDAR de la commune de Luemschwiller (68 – Source : Froelicher, 2016)
Cette reconstitution paysagère est importante car elle nous permet également de nous questionner sur les représentations paysagères des acteurs vivant dans des milieux soumis aux coulées d’eau boueuse. Les successions de modifications paysagères influencent-elles nos propres perceptions ? Le cas échéant, comment cela se traduit-il sur nos perceptions du risque ?
Froehlicher, L. (2016) Les haies, une alternative à l'openfield dans les zones loessiques d'Alsace ? Perspectives historiques, systèmes agraires du futur, érosion, effets sur le colluvionnement et le stockage du carbone. Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 476 p.