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L'état des lieux en Alsace

Ampleur du problème et son évolution

L’érosion et le risque de coulées d’eau boueuse associé sont avérés sur le territoire alsacien. A l’échelle de l’Alsace, une évaluation de la sensibilité des terres à l’érosion conduite par l’ARAA en 2007 avec la méthode MESALES a montré que les surfaces de sensibilité élevée à très élevée représentaient 36 600 ha et celles de sensibilité moyenne 66 800 ha. Au total 103 400 ha, soit 30% de la SAU alsacienne présentent une sensibilité à l’érosion significative (fig 1).

Sensibilité à l'érosion en Alsace

Figure 1. Sensibilité à l’érosion en 5 classes selon la méthode MESALES. Source : ARAA (2009).

Une cartographie du risque potentiel de coulées d’eau boueuse en Alsace est disponible et indique que ce risque est élevé pour 17 % des communes alsaciennes tandis que l’analyse des dossiers communaux de catastrophes naturelles confirme la survenue de ces évènements pour 24 années sur 30 dans la période 1985 à 2014 et dans 1 à plus de 20 communes par an. Dans le département du Bas-Rhin, le nombre de communes touchées par an montre une tendance à l’augmentation ; dans le Haut-Rhin l’évolution est moins claire (fig 2).

Nombre de dossiers CatNat en lien probable avec des coulées d’eaux boueuses

Figure 2. Nombre de dossiers CatNat reconnus en lien probable avec des coulées d’eaux boueuses par tranche de 10 ans sur la période 1985 à 2014. Source des données : BD Gaspar. Source : Van Dijk et al. (2016).

Les facteurs explicatifs : une coïncidence des évolutions

Les problèmes d’érosion et des coulées d’eau boueuse sont donc conséquents et leur évolution est préoccupante. Ces tendances peuvent s’expliquer par une combinaison de facteurs évolutifs liés (fig 3) :

  • au climat
  • à l’agriculture
  • à la structure paysagère
  • et à l’urbanisation.

 

Evolution des assolements en Alsace

Figure 3. Les fortes évolutions des assolements sur le territoire alsacien entre 1970 et 2010 (Source des données : Agreste, Recensements agricoles de 1970, 1979, 1988, 2000 et 2010). Moins d’herbe et des cultures d’hiver, plus de terres labourables et de cultures d’été peu couvrantes lors des orages de printemps et de début d’été. Source : Van Dijk et al. (2016).

Le tableau ci-dessous (fig 4) résume, sans prétendre être exhaustif, les principales évolutions sur le territoire alsacien qui influencent l’érosion et les coulées d’eau boueuse. Certains processus impactent plutôt les émissions, c'est-à-dire la production du ruissellement et la mobilisation des sédiments par érosion dans les parcelles agricoles, qui dépendent principalement de l’érosivité du climat, de la couverture protectrice du sol et de l’érodibilité du sol ; d’autres facteurs affectent davantage les transferts de flux vers l’aval qui dépendent plutôt de la structure paysagère (par ex. le parcellaire, les éléments paysagers comme les haies et les talus, les infrastructures des chemins et des routes, le réseau hydrographique des fossés et des cours d’eau) qui peuvent freiner ou accélérer les transferts et ainsi intercepter plus ou moins de flux sur le chemin de transfert.

Evolution des facteurs explicatifs de l'érosion et des coulées boueuses en Alsace

Fig 4. Evolutions liées au climat, à la structure paysagère, l’agriculture et à l’urbanisation en Alsace après 1960 et leurs principaux effets sur les déterminants de l’érosion et des coulées d’eaux boueuses (source Van Dijk et al., 2016).

L’érosion des sols, un problème social ?

L’érosion des sols peut être lue comme un risque moderne qui se différencie des menaces environnementales « traditionnelles » par son impact globalisant. Premièrement, la spécificité du risque tient à sa réception globalisante qui se répercute autant sur les émetteurs (les agriculteurs qui perdent leur sol) que sur des acteurs non impliqués par son émission (les riverains qui subissent des dégâts, telle l’inondation des caves). Dès lors que la coulée d’eau boueuse sort de la parcelle, elle entre en interaction et concerne aussitôt la société globale, devenant ainsi un problème social. Le deuxième élément renvoie à l’origine du risque, vu comme le produit de la société postmoderne qui engendre ses propres aléas. L’instrumentation du progrès technique, au bénéfice de l’exploitation des ressources naturelles, modifie les écosystèmes en profondeur. L’érosion des sols suscite des problématiques sociales qui vont bien au-delà de la gestion du seul risque. Les coulées d’eaux boueuses questionnent un modèle agricole reposant essentiellement sur la culture du maïs qui représente dans le Bas-Rhin plus de 37% (données issues d'Agreste) de la surface agricole utile (SAU) du département, soit 73 0002 hectares de la SAU. Le maïs représente dans le département du Bas-Rhin plus de 73 000 hectares sur 197 000 hectares de SAU au total. Or, cette pratique culturale n’est pas neutre, elle représente pour toute une génération d’agriculteurs l’accès au modèle entrepreneur-technicien, érigé comme symbole de réussite sociale et d’intégration professionnelle.

D’une manière générale, la question du rapport à l’environnement n’est pas sans lien avec celle de la trajectoire sociale de l’agriculteur et notamment trente ans de modernisation qui se sont sédimentés dans les pratiques et les représentations. La considération de cette histoire sociale reste essentielle pour comprendre la manière dont certaines innovations écologiques sont freinées dans leur entrée. En effet, nous avons observé un processus de « clapets anti-retour » qui se construit autour des logiques de mobilité sociale et de sortie de la « contrainte naturelle ». À mesure que les conditions de travail de l’agriculteur sortent d’un rapport de dépendance avec la nature (une transition du bovin lait au bovin viande, au modèle céréalier), il franchit de nouveaux paliers symboliques et techniques, où il lui semble impossible ou plutôt improbable de revenir à des pratiques et des systèmes de production antérieurs. Dans cette logique d’ascension sociale, le passage à chaque palier ferme la possibilité de revenir en arrière. Dans la lutte contre l’érosion des sols, certaines solutions (comme la remise à l’herbe des bovins ou encore le retour à l’élevage pour les céréaliers) ou innovations environnementales (binage mécanique par exemple) se heurtent donc à ces freins. Ces solutions vont alors être lues et appréciées par les agriculteurs comme une négation du processus de mobilité en cours ou achevé.

 

Pour en savoir plus :

- Van Dijk, P., Rosenfelder, C., Scheurer, O., Duparque, A., Martin, P., Sauter, J. 2016. Une approche agronomique territoriale pour lutter contre le ruissellement et l’érosion des sols en Alsace. Agronomie, Environnement & Sociétés. 6. 35-47.

- Ciron, M., 2017. Un logiciel pour l’aide à l’analyse de cartes d’acteurs réalisées à main levée. Mémoire de fin d’études. Université de Strasbourg.

- Christen, G., 2011. L’entrée de l’environnement dans le « champ » des pratiques agricoles : traduction et relocalisation des dispositifs de lutte contre l’érosion des sols en Alsace. Thèse de doctorat. Université de Strasbourg (dir. : M. Blanc ; co-encadrant : M. Wintz)