Les coulées d’eau boueuse sont des écoulements fortement chargés de terre en suspension qui a été détachée par les pluies et le ruissellement ; elles sont une manifestation de l’érosion hydrique. Ces écoulements progressent vers l’aval (transfert) et provoquent des inondations boueuses qui peuvent atteindre des zones urbaines et causer des dégâts considérables (photo 1).
En fonction de la topographie, les écoulements d’eau chargés en sédiments suivent des chemins qui se concentrent vers un même point de sortie, appelé exutoire. L’ensemble de la surface située en amont de l’exutoire s’appelle un bassin versant. La quantité d’eau de ruissellement qui s’accumule vers l’aval jusqu’à l’exutoire dépend donc de la taille du bassin versant et de la quantité d’eau de pluie qui ne s’infiltre pas et qui s’écoule vers le bas.
Cliquez sur les mots-clés en passant votre souris sur l'illustration
Photo 1 : Des images des coulées d’eau boueuse en Alsace et leurs conséquences.
Sur leur chemin, les écoulements d’eau boueuse peuvent partiellement se décharger (dépôt) et/ou se recharger (érosion) en sédiments : la quantité de sédiments transférés vers l’aval dépend fortement des caractéristiques des chemins d’eau.
La compréhension de ces processus et de leurs facteurs clefs est essentielle pour concevoir des programmes d’action pertinents contre l’érosion et les coulées d’eau boueuse. Ces principaux processus et facteurs sont brièvement décrits ci-dessous, ainsi que les mesures de lutte concernées (dont certaines sont abordées en détail dans Gerihco) :
Les précipitations sont à l’origine du ruissellement et de l’érosion hydrique. Les quantités et intensités ainsi que les fréquences et séquences pluviométriques influencent le ruissellement et l’érosion. Pendant les périodes de pluies à la fois fréquentes, longues et intenses, la part de la pluie qui ruisselle augmente.
Des orages se développent sur les collines limoneuses et la plaine d’Alsace. Photo : ©Louis Hecker (2010).
L’énergie cinétique des gouttes de pluie peut détacher et déplacer des particules de sol. Ce processus de « splash » (photo 2) augmente avec l’intensité de la pluie.
Photo 2. Le détachement des particules du sol par le « splash ». Photos : Yves Le Bissonnais.
Le potentiel des événements pluvieux à provoquer des coulées d’eaux boueuses dépend fortement de leur étendue spatiale sur le bassin versant concerné. Les cellules orageuses qui touchent une large partie du bassin versant sont les plus à risque.
Le réchauffement climatique semble augmenter l’érosivité des pluies et peut donner lieu à une augmentation de la fréquence des événements orageux extrêmes. Ces tendances ne peuvent pas être atténuées par des actions isolées : la lutte contre le réchauffement climatique doit se faire à l’échelle globale.
Dès que les précipitations ne peuvent plus s’infiltrer complètement dans le sol, l’excédent forme des flaques en surface puis peut donner naissance à du ruissellement. C’est pourquoi l’infiltration est un processus clef pour la quantité de ruissellement produite à chaque endroit du bassin versant et le volume d’eau qui atteint l’exutoire (l’entrée du village).
L’infiltrabilité d’un sol (capacité d’infiltration) est extrêmement variable selon les endroits et les jours ; elle dépend du système poral du sol, des états de surface du sol et de l’humidité initiale au moment de l’événement pluvieux.
Les caractéristiques intrinsèques du sol, et notamment la texture (teneurs en sable, limons et argiles), conditionnent pour partie l’infiltrabilité. Ainsi, la matrice d’un sol sableux a généralement une infiltrabilité élevée, tandis que la celle d’un sol argileux a une infiltrabilité faible. L’infiltrabilité est également fortement influencée par la structure du sol (c’est-à-dire l’organisation de la texture sous forme d’agrégats). Des sols à teneurs en argiles et en matières organiques élevées se structurent ainsi plus facilement, créant une macroporosité qui augmente l’infiltrabilité.
La grande variabilité de l’infiltrabilité est le résultat de la variabilité des types de sols, mais aussi d’un certain nombre de processus structurant et déstructurant dont l’effet est variable selon le type de sol. Certains de ces processus sont naturels, tels que les cycles de gel/dégel, les cycles d’humidification et dessèchement, la vie biologique du sol, … D’autres sont liés aux activités humaines et concernent notamment en agriculture le travail du sol et la compaction sous l’effet des passages des machines. Le travail du sol crée ainsi une macroporosité d’origine mécanique qui diminue ensuite progressivement sous l’influence de la pluie (reprise en masse). La pluie peut aussi déstructurer une fine couche à la surface du sol par le processus de battance qui génère une croûte peu perméable qui diminue l’infiltrabilité de façon importante. La pratique de labour peut créer une semelle de labour, c’est-à-dire une zone tassée et déstructurée à la profondeur du labour qui est peu perméable et qui peut être à l’origine des problèmes de drainage et de saturation du sol, notamment en période hivernale.
La végétation et une surface rugueuse influencent positivement l'infiltration en ralentissant l'écoulement de l'eau à la surface, lui donnant ainsi plus de temps pour pénétrer dans le sol.
Les mesures qui permettent d’augmenter l’infiltrabilité sont des mesures préventives, car elles réduisent la production de ruissellement chargé en sédiments.
La conduite des parcelles agricoles impacte l’infiltrabilité et c’est à ce titre que l’adaptation des systèmes de culture (rotation + pratiques culturales) constitue un levier d’action de lutte primordial contre l’érosion et les coulées d’eau boueuse (photo 3). Les techniques culturales sans labour (TCSL) constituent un exemple efficace d’adaptation des pratiques culturales. Contrairement au labour, qui retourne complétement le sol, les TCSL laissent en effet une partie des résidus de la culture précédente en surface et perturbent moins la vie du sol. Les matières organiques fraiches et sont enfouies moins en profondeur et se dégradent généralement mieux ; cela augmente la stabilité des agrégats en surface. Les résidus de culture réduisent l’exposition de la surface à la pluie, et la partie du sol exposée est moins sensible à la battance. Ces effets conduisent à un ralentissement de la prise en masse et de la formation des croûtes de battance. Par conséquent, l’infiltrabilité est mieux maintenue qu’en système de labour, également en raison de la plus forte macroporosité biologique. Enfin, la semelle de labour s’efface progressivement au fil des années dans les parcelles en TCSL, améliorant ainsi la percolation d’eau en profondeur.
Photo 3. Le même sol avec deux conduites différentes : à gauche une conduite en labour, à droite en techniques culturales sans labour (TCSL). Après le test d’infiltrabilité, le sol en labour s’est désagrégé, la surface s’est fermée et l’infiltrabilité est faible. Le sol en TCSL au contraire conserve sa structure ouverte et sa capacité d’infiltration élevée. Photos : Paul van Dijk (ARAA).
Des pistes d’action existent aussi en système de labour : le choix de la culture et les pratiques culturales déterminent la couverture du sol et la rugosité de la surface à une date donnée, et influencent ainsi l’hydraulique du ruissellement et la quantité d’eau qui peut s’infiltrer.
Le ruissellement peut se produire quand l'intensité des précipitations dépasse l’infiltrabilité (effet « bouchon », ruissellement dit « Hortonien ») ou quand le volume des pluies qui s’infiltre est supérieur à la capacité de stockage de l’eau du sol (« seau qui déborde », ruissellement par saturation). Ce ruissellement, assez diffus au départ, s’accumule en progressant vers l’aval. Selon la pente, la rugosité de la surface, la végétation et la profondeur de la lame d’eau, ce ruissellement exerce une force érosive et détache des particules et de petits agrégats du sol. Le détachement des sédiments par le splash contribue également à la charge en sédiments charriée par le ruissellement. Dans les parcelles, l’eau suit souvent les motifs agraires tels que les traces de roues et les lignes de semis et peut creuser des rigoles (photo 4).
Photo 4. Ruissellement érosif diffus (gauche), une rigole formée dans une trace de roue (centre), érosion dans les rangs de vignes (droite). Photos : Anne Schaub, Olivier Rapp et Paul van Dijk (ARAA).
Plus vers l’aval, l’eau se concentre dans les axes de talwegs et devient encore plus érosive : c’est dans ces endroits où des rigoles plus profondes ou des ravines peuvent se creuser (photo 5).
Photo 5. Erosion dans un talweg où le ruissellement se concentre et arrache les buttes des pommes de terre sur son chemin. Photo : Paul van Dijk (ARAA).
L’émission des sédiments par le détachement par le splash et par la force tractrice du ruissellement peut être réduite :
Les deux actions se raisonnent à l’échelle du système de culture qui détermine à la fois :
Des systèmes de culture efficaces pour réduire l’érosion hydrique sont les systèmes qui couvrent durant les périodes à risque, qui augmentent la teneur en matière organique proche de la surface du sol, et qui favorisent la vie biologique du sol et notamment les vers de terre anéciques.
Toutes les sédiments émis par érosion n’arrive pas à l’exutoire ; une partie significative se dépose avant d’atteindre le village. Le ruissellement chargé en sédiments prend des chemins qui dépendent de la topographie (photo 6). La capacité de ces écoulements à transporter des sédiments dépende des caractéristiques hydrauliques des chemins pris : les pentes, la rugosité de la surface et la couverture végétale. Un phénomène courant qui illustre cela est la déposition des sédiments en bas de pentes concaves, là où la vitesse de ruissellement diminue et la capacité de transport chute. Un autre exemple est le dépôt qui se forme souvent à l’interface entre une parcelle amont peu couverte par la végétation et une parcelle en aval fortement couverte. A l’inverse, si la charge en sédiments de l’écoulement est inférieure à la capacité de transport, le ruissellement va éroder le sol dès qu’il trouve la possibilité et se recharger.
Photo 6. Transferts des sédiments sur un chemin goudronné dans le vignoble alsacien (gauche) et dépôts à l’interface entre un champ de maïs et de blé. Photos : Paul van Dijk (ARAA) et Claire Cugnière (CAA).
Toutes les actions qui ont pour objectif de réduire les transferts des sédiments vers l’aval ont en commun qu’elles ciblent à réduire la capacité de transport du ruissellement pour favoriser les dépôts des sédiments :